LA VISITE
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Aujourd’hui, je ne mets pas le nez dehors. Je reste allongé sur le sofa : je suis
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épuisé.J’ai eu de la visite pendant trois jours. La visite d’un jeune campagnard,
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ici, à Berlin- je ne savais plus, ce que c’est de discourir douze heures dans une
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journée. De devoir discourir. Maintenant, je le sais à nouveau. Et je saisis peu
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à peu , combien un mariage de plusieurs années ou une maison vide peuvent
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être rafraîchissants.
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Je ne veux rencontrer personne. Je n’ai pas de texte pour ce soir. Ou bien dois-je
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raconter, quelle crise j’ai piquée tout à l’heure au petit-déjeuner , quand mon
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visiteur a voulu m’arracher des mains le couteau à pain . “Donne, laisse-moi donc
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faire-Mince ça semble vraiment dangereux. Je ne suis pas habitué à ce ton. Je
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trouve aussi, qu’on peut simplement laisser les verres à vin à égoutter, qu’on ne
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doit pas forcément les faire briller. Et qu’il est aussi permis d’avoir deux
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télévisions : une dans la chambre à coucher, l’autre dans le bureau- je ne savais
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pas à quel haut point, les gens qui soulignent à tout bout de champ, qu’ils n’ont
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pas de télé , parce qu’ils n’en ont pas tout du tout besoin, peuvent m’énerver.
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Bon, cela m’est égal. Oui, nous avons pas mal de vidéos, oui,“ À l’est d’Eden” ,
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nous l’avons aussi. On peut peut-être la regarder ? Ça alors...
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Ce n’est pas du tout un sujet de conversation. Et aussi que je n’ai jamais lu “La ville
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au-delà du fleuve” d’Hermann Kasack, qui donc cela peut-il intéresser ? Moi, ça ne
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m’a jamais intéressé, le livre se trouve sur mon étagère depuis je ne sais combien
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de temps,je l’ai acheté dans une brocante et à vrai dire juste à cause de la reliure
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- maintenant,je n’ai plus besoin de le lire, je connais l’histoire en détails. Et depuis
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peu, cela m’étonne,je suis vraiment fier de ma ville. Je ne trouve pas du tout,
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qu’elle estsi mal conçue et si froide et si impersonnelle- j’aime même maintenant
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le tunnel et le chantier de Potsdamer Platz. Je suis allé avec mon visiteur dans le
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quartier où sont érigés les immeubles-proues de Sony et consort, pour pouvoir
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enfin nous distraire ensemble- et pour ne pas , un moment, être obligé de parler,
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ça aussi- j’avais le sentiment que chaque Berlinois se promène là avec ses hôtes
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l’air renfrogné- mais ensuite à force d’entendre constamment ces jérémiades sur
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le caractère inhumain des tours, sur les pauvres arbres du parc zoologique, les
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tirades contre la centralisation, la mégalomanie allemande, le gigantisme qu’on
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retrouve dans l’architecture comme inévitablement dans la mentalité des
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habitants de la capitale- vous êtes ici pour ainsi dire en représentation - et puis
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aussi, le supertunnel jusqu’à la gare Lehrter, ça ne fonctionnera jamais, ça ne peut
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pas fonctionner, enfin je connais dans mon village un ingénieur, qui a démontré
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que votre nappe phréatique...Stop!
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Lentement mon taux d’adrénaline tombe. Je me fais une soirée vidéos tranquille.
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Vidéos que je regarde du début à la fin. “À l’est d’Eden”, celle-là, je l’ai stoppée
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au moment où mon visiteur a commencé à me raconter toutes les autres scènes
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des films dans lesquels James Dean a joué. J’ai envie de biscuits salés. Je veux
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ma tranquillité. Je veux qu’il y ait un tunnel pour transrapide menant directement
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de mon lit aux îles Canaries!
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Avec mon visiteur, ça a déjà commencé à devenir énervant , quand il m’a écrit qu’il
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viendrait le 15 et que je lui ai répondu que c’était okay, et puis il y a eu sur mon
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répondeur sa voix mielleuse qui m’annonçait qu’il arriverait donc gare de
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Lichtenberg à 12 H 30. Bon, bien pour toi, ai-je pensé. Je suis bonne pâte :
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Lichtenberg, c’est assez loin d’ici, pour ainsi dire , il faut traverser toute la ville
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- mais combien furent reposants le chemin jusqu’au métro et le voyage lui-même-
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comme j’ai feuilleté le journal avec délectation et tranquillement, comme j’ai pu
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encore lire le mot Jelzin, le penser ou bien aussi l’exprimer , sans qu’aussitôt
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je reçoive, sans le lui demander, un avis de tiers sur la Russie, sur la réforme du
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communisme et qu’on me jette à la figure ses relations avec le fondamentalisme.
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Repos divin. Tout de suite , c’est le début de la rue Lindenstraße. 18 H40. Je me
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promène sans but. Je m’allonge dans la baignoire et je me détends, Et au cas où
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quelque chose m’attendrait dehors cette nuit. J’envoie cette fois mon double...
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Texte original allemand “ Der Besuch”
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Extrait du livre de Manfred Maurenbrecher “BALLADE VOM KLEINEN DOPPELLEBEN”
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©Traduction française établie par Christel J.Stefariel
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