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Le coup de grâce
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Entre le vieux mur moisi, crasseux,
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Couvert de graffitis subversifs
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Et le trottoir rugueux, désert
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Jonché de débris de la récente manifestation
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Il était affaissé, l’air maladif
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De ses deux mains sales
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Il pressait son ventre sans dire mot.
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Il a faim le petit,
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DĂ©cida un Ă©tranger mĂsĂ©ricordieux.
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De son sac de touriste repu,
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Il tira un morceau de pain,
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Et le lui tendit.
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Le petit ne fit pas un geste.
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Dans le vaste panorama
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Que son regard embrassait,
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L’étranger ne semblait même pas exister.
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Déconcerté et ennuyé
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—L’étranger n’était pas habitué
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À ce qu’on ignore sa charité—
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L’étranger se pencha sur le petit
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Et d’un geste brusque lui tira la main
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Pour lui donner le pain.
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Du ventre jusqu’alors compressé
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Un flot de sang , des entrailles jaillirent
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Salissant les souliers blancs de l’étranger
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Et le petit alors s’écroula entièrement
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Aux pieds de l’étranger déconcerté.
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Poème extrait de “Anthologie des Poètes Haïtiens du Massachussets”
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Le danseur au tambour par Charlot Lucien
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Voici venir la paix
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Voici venir la Paix, la Paix des cimetières.
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Murailles calcinées, arbres déracinés,
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Fleuves ensanglantés, ossements blanchis,
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Lapés par les chiens dressés,
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Et sucés par la vermine ambiante.
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Espace rouge et irrespirable,
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De ces Ă©manations puantes que seules les narines
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Des vautours et des chacals apprécient l’extase.
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Voici donc la Paix venue.
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Les loups, leurs gueules encore chaudes et fumantes,
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Leurs crocs encombrés de quelques lambeaux de chairs,
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Contemplent l’oeil avide,
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L’enfer de feu, de fumée, de sang et de ruines,
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Qu’ils ont peint sur la nature...
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Et voici, ils se jettent aux alentours, battant la campagne.
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Ce qui reste de bois et de mornes,
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Est écartelé, fouillé, haché, violé.
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Mais les bois, les mornes n’ont plus de victimes,
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Ni Ă cacher, ni Ă livrer.
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Les victimes anticipées,
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Ont longtemps pris la mer,
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Préférant exposer leurs chairs
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Au tranchant des mâchoires de requins,
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Qu’à celui des loups enragés.
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Les loups ont couru en vain, excités et furieux.
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Alors, haletants de haine et de dépit,
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Ils laissent glisser leurs regards jaunes et glauques,
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Les uns sur les autres, se soupesant discrètement...
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Le spectacle final fut soudain et brutal,
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Vacillant entre l’horreur et le grotesque.
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Les loups dans une formidable mêlée,
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De chairs sanglantes, de crocs baveux, et de halètements,
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Les loups se jetèrent les uns contre les autres.
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Cela ne prit que le temps
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D’un cillement,
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De quelques grognements,
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Mais voici,
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Voici, la Paix est venue...
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Poème de Charlot Lucien
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LE TROU DE LA PEUR
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L’ombre était épaisse, lourde,
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L’homme tâtait le sol bourbeux
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De ses pas hésitants
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Le coeur battant Ă se rompre.
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Il avait peur
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Et cherchait un trou
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Un trou où se réfugier
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L’ homme se fuyait.
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Il fuyait parce qu’il s’était trouvé
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Et paniqué, éperdu, réalisant
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Que l’horizon n’offrait point de salut
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Il cherchait un trou où s’enfoncer
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Et tâtonnait dans le noir inutilement
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N’ayant pas encore réalisé
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Qu’il était déjà dans le trou;
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Que sa peur Ă©tait son trou.
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Poème inédit de Charlot Lucien ( 2000 )
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RĂ©plique
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On a tiré quelque part…
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Une mère
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—Une mère, puisqu’il ne saurait en être autrement—
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Une mère dont l’enfant était au dehors
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S’est donc mise à hurler à la mort…
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Sans pause
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La chose
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Le cri
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Est parti
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Quelque part du fond de ses entrailles,
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Et dans un roulement tumultueux
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Dans un grondement sourd
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S’est engouffré dans sa poitrine dilatée
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Avant de jaillir de sa gorge
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Avec la force de l’orage
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Qui éclate brutalement après
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Après d’interminables et angoissantes minutes.
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On a tiré quelque part…
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Un militaire de l’époque,
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Parce qu’il ne saurait en être autrement,
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Un militaire de l’époque donc,
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S’est mis à ricaner,
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Et, à son tour a tiré,
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Quelque part,
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Sur la foule…
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____________________ © Charlot Lucien
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L’enveloppe
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Cela m’a pris du temps pour réaliser
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Pourquoi je ne pouvais me résoudre
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À t’envoyer cette enveloppe
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Je l’ai remplie de paperasses
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De photos, de notes d’amour
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De coupures de journaux
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De mon plus précieux CD.
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Je l’ai tournée et retournée
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Entre mes doigts...
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C’est seulement après te l’avoir envoyée
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Que je réalisai
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La cause de mon tourment:
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C’est que j’ai voulu
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Me glisser dans cette enveloppe
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Et me retrouver en route vers toi.
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Mais bien sûr,
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J’étais trop large pour rentrer dedans.
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Et je me retrouve
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Mal dans ma peau!
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Merde alors, j’aurai pu me retrouver
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Dans cette enveloppe
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Si je n’avais pas été si grand.
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____________________ © Charlot Lucien
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Quand nos pas se confondent et se fondent
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Je veux partir avec toi
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Sur la plage...
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Que l’empreinte de nos pas se confondent
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Dans le sable
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Et que mes pas deviennent tes pas
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Et que tes pas deviennent mes pas
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Jusqu’à ce que les vagues
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Les fassent fondre
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Et les emportent Ă jamais
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Dans l’immensité de l’océan...
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____________________ © Charlot Lucien
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Rocher fissuré
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Ton visage Ă©tait
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Ce roc millénaire
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Immuable et impénétrable
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Bloc de granite noir
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Quelque chose brillait
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LĂ dessus
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Je m’approchai
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Ce n’était ni la pluie
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Ni la rosée
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Une larme
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Par une fissure
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S’écoulait subrepticement
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____________________ © Charlot Lucien
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